Selon une récente étude portant sur 15.000 personnes et menée par IFOP pour Agrimer, un quart des Français indique limiter sa consommation de viande. La majorité reconnait en apprécier le goût, l’estime nécessaire à la santé et considère qu’il est possible de manger une viande respectueuse du bien-être animal. Dans ce même sondage, il apparaît qu’il ne sont que 2,2% à avoir totalement abandonné la viande dans leur régime alimentaire. Les tentatives de substitution de la viande par les industriels de la filière agroalimentaire ne datent pas d’hier. En 1966, au Salon des industries de l’Alimentation (SIAL) à Paris, des « viandes » composées de fibres de protéines végétales sont présentées aux professionnels. Cette vieille histoire peine donc à s’imposer totalement. Les consommateurs sont-ils vraiment prêts à abandonner la viande animale pour contribuer au succès naissant des viandes de substitution ?
Au début des années 2010, le steak de soja s’affiche comme le futur simili carné, un Américain sur trois en mangent, le marché allemand est en plein boum et les Français commençent à s’y intéresser. Dans le même temps, ces consommateurs en quête d’une transition alimentaire face à la mauvaise réputation de la viande rouge s’interrogent aussi sur la qualité nutritionnelle des substitutifs vendus à un coût assez élevé. Des études nutritionnelles les alertent régulièrement sur ces préparations bourrées d’additifs et plutôt caloriques (185 calories pour un steak de soja contre 120 calories pour un steak de bœuf).
En parallèle, des campagnes persistent à l’encontre des protéines animales. En février 2019, le mouvement Million Dollar Vegan est lancée par l’ONG Blue Horizon International. Cette campagne est soutenue par diverses célébrités pour sensibiliser le public à l’opportunité d’un changement climatique par l’adoption de nouveaux régimes alimentaires.
L’éternel débat persiste au sein de la population, entre deux extrêmes :
- Les pro-vegans qui entendent lutter contre l’anthropocentrisme et une forme d’esclavagisme moderne lié à l’organisation de filières qui sous-payent les compétences et les matières premières de nations émergentes pour approvisionner des pays sur-consommateurs ;
- Les défenseurs d’une domestication animale qu’ils considèrent comme garante de la sécurité alimentaire et d’une construction sociale : protection, affect, partage… Pour eux, depuis la préhistoire, le chasseur redistribue le fruit de ses prises et participe à l’organisation d’une société à travers la nourriture.
La population est divisée et les industriels brouillent un peu plus les pistes en multipliant les innovations en matière de substituts, cellulaires ou végétaux. Face à ce duel moderne, les consommateurs semblent moins effarouchés par le mauvais score calorique ou la communication trompeuse des substituts végétaux que par la viande de laboratoire, considérée comme un ovni nutritionnel.
Les questions d’appellation
Quel que soit le produit, les États doivent trancher sur ce qu’ils autorisent ou pas, pris entre la volonté de réussir la transition verte et la crainte de laisser le secteur de l’industrie agroalimentaire tromper le consommateur.
L’exemple de la viande née en laboratoire illustre bien le problème. Cette viande est encore en quête d’une appellation pertinente et consensuelle. Pour l’heure, nous pouvons lire :
- Viande sans abattage ;
- Viande 2.0 ;
- Viande propre ;
- Fausse viande ;
- Viande synthétique ;
- Viande artificielle ;
- Viande de laboratoire ;
- Viande cultivée ;
- Viande à base de cellules ;
- Viande in-vitro…
Matt Ball, porte-parole de The Good Food Institute, association de promotion de l’alimentation alternative, regrette l’absence de consensus pour les produits issus de cellules animales. L’arrivée des produits sur le marché américain oblige les autorités à définir une désignation et un étiquetage précis.
De leur côté, les éleveurs américains œuvrent pour ne pas connaître les mésaventures de la filière laitière face aux denrées végétales vendues sous l’appellation « lait ». Le Missouri a tranché, dans cet état, seul un aliment issu d’un animal pourra porter le nom de « viande ».
En France, un amendement visant à réserver les appellations steak, bacon et saucisse est adopté par les députés en 2018 mais immédiatement retoqué par le Sénat. En 2020, une proposition de loi est présentée à l’Assemblée nationale et reste en attente d’une issue favorable.
En Allemagne, les autorités ont publié fin 2018 des recommandations pour tout Fleischersatz (substitut de viande). L’emballage devra clairement faire apparaître les qualificatifs « végétarien » ou « vegan » et indiquer la nature du substitut utilisé.
Un marché à fort potentiel
Les analystes de JP Morgan et de Barclays sont très optimistes sur le potentiel des viandes alternatives dans les quinze prochaines années.
Chez JP Morgan, les experts tablent sur un marché à $100 milliards tandis que ceux de Barclays avancent le montant de $140 milliards en y ajoutant les produits composés de cellules de viande. Cette dernière estimation permettrait aux acteurs de la filière de réaliser 10% des ventes sur le marché global de la viande.
Cet optimisme est appuyé par des initiatives de quelques illustres influenceurs de la restauration. Ainsi Burger King propose la version végétarienne de son fameux Whopper. Idem pour McDonald’s avec son Big Vegan TS (Grand TS végétalien).
Ces expériences sont rendues possibles grâce à des startups qui travaillent sur une optimisation gustative de ces nouveaux produits. Impossible Foods et Beyond Meat, deux startups actives du secteur, ont connu des débuts prometteurs. L’Impossible Burger est présent dans 7000 restaurants en Asie et aux États-Unis tandis que Beyond Meat a progressé de 169% sur sa première journée d’entrée en bourse.
Les Géants de l’agroalimentaire s’activent aussi sur ce terrain : Nestlé avec son Incredible Burger et son Sweet Earth, Unilever avec le rachat de The Vegetarian Butcher ou encore Kellogg avec sa marque alternative MorningStar Farms qui maintient sa position de leader aux États-Unis.
Ces différents produits pionniers occupent encore une faible part du marché carné, d’où une estimation très favorable de la part des analystes économiques qui relèvent toutefois la fragilité des nouveaux acteurs :
- Ces innovations gastronomiques contiennent encore de nombreux additifs nécessaires à la satisfaction gustative ;
- Le marché n’est pas à l’abri d’évolutions réglementaires défavorables en termes d’étiquetage ou de composition nutritionnelle ;
- Les startups sont encore novices en termes de logistiques et ne disposent pas d’infrastructures rodées en cas de rappel sanitaire de produits.
Malgré ces failles, les investisseurs restent attirés par ces mini-incubateurs d’innovation. En 2019 par exemple, Impossible Food a obtenu la reconnaissance de la molécule léghémoglobine de soja, utilisée pour donner un aspect carné à ses produits, comme colorant alimentaire par la Food and Drug Administration (FDA). Une double victoire pour la startup qui a vu ses ventes bondir et des investisseurs comme Bill Gates ou Google Ventures frapper à sa porte, avec une levée de fonds finale à $300 millions.
De son côté, Beyond Meat a décidé de lancer sa production en Europe, plus précisément au Pays-Bas où elle compte produire selon ses techniques de « texturation des protéines végétales ». En s’associant avec Zandbergen World’s Finest Meat, un des leaders dans la chaîne d’approvisionnement internationale en protéines, la startup espère augmenter ses ventes en Europe mais aussi ses exportations vers l’Afrique. Elle a certes souffert de la fermeture des restaurants en raison de la crise mais compte aussi profiter du dérèglement des marchés alimentaires traditionnels engendré par la pandémie pour placer ses produits. Elle a déjà signé des contrats de distribution avec des enseignes dans plusieurs pays européens : Tesco au Royaume-Uni, Coop en Suède ainsi que Monoprix, Franprix, Casino et Carrefour en France.
Le marché ne cesse d’accueillir de nouveaux entrepreneurs créatifs. La startup Nouveaux Fermiers a mis au point des produits à base de protéines de blé, de jus de betteraves et d’épices naturelles dont les tests à l’aveugle sont prometteurs. Cette startup française avance un nutriscore favorable avec des produits sans huile de coco et sans additifs, distribués chez Monoprix et Carrefour.
Si la viande cellulaire opère un démarrage plus timide sur le marché, elle a quand même gagné un premier point avec l’autorisation donnée par Singapour à la startup Eat Just pour la vente de ses nuggets de poulet élaborés à partir de 20 lots de viande produits dans des bioréacteurs de 1200 litres. Ces produits seront proposés aux consommateurs dans différents restaurants de Singapour.
Depuis début 2021, le marché tousse un peu. Les startups ont connu une année 2020 contrainte par les restrictions liées aux mesures sanitaires et les bourses s’interrogent sur l’excessive confiance des investisseurs vis-à-vis de ces magiciens de la viande alternative.
Impossible Foods cherche à valoriser la société par une introduction boursière, à l’instar de Beyond Meat. Cette dernière, s’est valorisée de 420% depuis son introduction boursière en 2019 même si récemment elle a brutalement chuté de $14 à $8,5 milliards.
L’investisseur Eat Beyond, spécialisé dans l’appui financier au développement de sociétés agroalimentaires innovantes, indique qu’il est toujours favorable à investir dans la startup Impossible Foods à l’occasion de son entrée en bourse mais que son engouement initial a fait place à une posture plus raisonnée. Alors que les actions de Kellogg ou Kraft Heinz se négocient entre 1,5 et 2 fois le chiffre d’affaires par action, le ratio monte à 21 fois pour Beyond Meat. Un appel à la prudence d’autant que NielsenIQ, leader de référence dans l’analyse des données de consommation, constate que la croissance enregistrée sur le deuxième semestre 2020 a sensiblement fléchi sur le premier trimestre 2021 pour la vente au détail de ces produits.
L’entrée en bourse d’Impossible Foods appelle une inévitable comparaison avec Beyond Meat. Contrairement à sa grande sœur, Impossible Foods occupe 4% du marché contre 25% pour Beyond Meat, elle bénéficie de 20.000 points de vente, 122.000 pour la deuxième, et surtout, elle n’affiche pas de partenariat notable alors que Beyond Meat a signé avec McDonald’s, PepsiCo et KFC.
Les consommateurs ont leur mot à dire
Dans le contexte actuel de crise climatique et sanitaire, l’avenir semble propice au développement des viandes cultivées en laboratoire ou fabriquées à partir de protéines végétales. Les défis de la production classique de viande d’élevage sont connus de tous : besoins fonciers, risques liés à l’intensification et confort animal.
Le monde attend une fin de pandémie disruptive, y compris dans le secteur de l’alimentation (nouvelles matières premières, productions innovantes, nouvelle relation à la nature) mais les consommateurs cherchent aussi des éléments tangibles pour une transition alimentaire. Ils peinent à trouver une information fiable, non biaisée par une idéologie ou un intérêt économique. Les alternatives à la viande ne cochent pas toutes les cases :
- Le steak végétal et ses inconvénients nutritionnels ;
- La viande de laboratoire, ses manipulations génétiques et ses coûts de production ;
- Les aliments protéinés à base d’insectes et le blocage
D’autres alternatives voient le jour. Sous la marque Nutralys, Roquette, pionnier des ingrédients d’origine végétale, développe une nouvelle protéine végétale sans allergène, sans gluten et sans OGM aussi intéressante que la protéine animale. Elle est issue du pois jaune, dont la culture sans engrais soufré, consomme 40 fois moins d’eau que le blé et capture le dioxyde de soufre de l’air au bénéfice des sols. Roquette a investi quelque 500 millions d’euros pour deux unités de fabrication, situées au Canada et en France. La nouvelle protéine sera intégrée dans plus de 70 nouveaux produits Nestlé.
Chaque innovation semble l’alternative ultime, présentée au public à travers un jargon scientifique et un discours marketing flou, tandis que les organisations et les professionnels de santé prêchent pour un retour à une alimentation saine basée sur des denrées peu transformées.
Source : Capital