Kristalina Georgieva, Directrice générale du Fonds Monétaire International (FMI), Gita Gopinath , son adjointe et Ceyla Pazarbasioglu, stratégiste au sein de l’organisation ont conjointement, ont rédigé un post pour alerter les instances internationales et les membres des pays avancés sur les risques encourus par le système économique mondial mis à l’épreuve par plusieurs événements dont l’actuelle guerre russo-ukrainienne déclenchée le 24 février dernier par la Russie. Selon ces trois responsables du FMI, sans transition économique à l’échelle internationale, les États peuvent être tentés de quitter le système, y compris sur le plan monétaire. Il y a urgence à construire un autre modèle économique qui renforce les bénéfices de la coopération, dans la production de richesses et la redistribution
Du 22 au 26 mai 2022 s’est tenu le World Economic Forum Annual Meeting à Davos, un événement organisé en présence de dirigeants, politiciens, intellectuels et journalistes du monde entier, autour de préoccupations majeures telles que le réchauffement climatique, l’économie inclusive, l’emploi, la santé, la coopération ou l’équité au sein des sociétés.
Après deux années de pandémie suivies d’un conflit russo-ukrainien qui entrave lourdement les échanges mondiaux et la stabilité géopolitique, il semblait nécessaire d’inscrire la question de la coopération mondiale et de sa résilience à l’ordre du jour du meeting de Davos. Les derniers événements ont mis en lumière la fragilité, voire la fin d’un système qui concentre les gains entre les mains de quelques-uns et laisse les populations porter le risque, celui d’une insécurité alimentaire et politique.
Les risques d’escalade concernant le conflit russo-ukrainien n’autorisent pas immédiatement une réforme des accords d’échanges à l’échelle mondiale mais les nations réalisent l’importance de prévenir la fragmentation géoéconomique que pourrait provoquer la prolongation ou le durcissement de ce conflit.
Depuis 2020, les populations font face à un ralentissement de la croissance et à la hausse des coûts sur les approvisionnements qu’ils soient alimentaires ou énergétiques, entraînant un endettement supplémentaire des ménages et des États et remettant en cause les modèles économiques et les politiques publiques existantes.
Dans le domaine de la sécurité alimentaire, les États sont partagés entre la tentation d’une forme de protectionnisme alimentaire, peu réaliste, et la sécurisation d’approvisionnements extérieurs lorsqu’il s’agit de faire face aux pénuries dues à la sécheresse, à l’instabilité politique ou à l’absence d’infrastructures, parfois les trois simultanément !
Chacun s’accorde à dire qu’il faut rendre les filières d’approvisionnement plus résilientes et ainsi éviter que l’invasion d’un pays comme l’Ukraine, 44 millions d’habitants, mette en péril la sécurité alimentaire d’un continent comme l’Afrique, avec ses 1,4 milliards d’individus.
Les effets de ce conflit sont d’autant plus visibles qu’ils s’abattent sur un monde déjà soumis à une crise climatique, sanitaire et sociale, combinée à une volatilité des prix des denrées ou de l’énergie, à laquelle ne peuvent faire face les plus défavorisés à travers le monde.
Depuis trente ans, les échanges se sont accélérés, portés par la mondialisation de l’économie et le progrès technologique qui l’accompagne. Pourtant, l’accroissement des ceux-ci ne profite pas équitablement à tous les pays ou catégories de population. Les États doutent de leur intérêt à continuer à adhérer au système de coopération internationale et envisagent le rattachement à des modèles distincts, annonciateurs d’une fragmentation géoéconomique.
Ainsi une trentaine de pays ont récemment adopté une position protectionniste vis-à-vis de leur sécurité alimentaire, restreignant leurs exportations ou importations. La réduction de ces flux qui génèrent habituellement des revenus pour les ouvriers, les transporteurs et tous les intermédiaires risquent de priver d’emplois de nombreuses populations et conduire à plus d’exodes et d’instabilités dans les pays émergents.
Le FMI estime que si ce mouvement de resserrement des échanges devait se propager à une majorité de pays, ceux-ci pourraient voir leur PIB décroitre de 5%.
Les experts du Forum Économique Mondial invite les États à redéfinir collectivement une coopération internationale plutôt qu’un protectionnisme sans issue, qui les exposera.
La coopération internationale répond à des objectifs majeurs :
- Garantir l’approvisionnement des denrées essentielles en cas de faible production domestique due aux sécheresses, aux conflits ou à la volatilité des prix (intrants, énergie) ;
- Diversifier les importations en termes de types de denrées et de provenances pour diluer le risque de rupture ;
- Désendetter certains États pour poursuivre l’application des accords de libre-échange, stabiliser les économies concernées et attirer les investisseurs . Pour bénéficier d’un soutien des pays membres du G20 (suspension, restructuration, effacement), les pays emprunteurs s’engagent à utiliser les ressources financières rendues disponibles pour des dépenses sociales, sanitaires ou économiques et à faire preuve de transparence sur les emprunts publics ;
- Instaurer un système international de transactions financières à faible coût pour faciliter la croissance et rendre les quelques $45 milliards de dollars de frais de transfert aux économies, voire permettre leur conversion vers les monnaies numériques dans certains cas ;
- Prioriser la lutte contre le changement climatique, principal obstacle à la sécurité alimentaire dans de nombreux pays fragilisés par la pauvreté et autres défis..
La coopération apparaît comme le meilleur rempart contre le risque de fragmentation. Durant la pandémie du Covid 19, elle a déjà permis l’accélération de la recherche sur le vaccin, la mise en place d’une fiscalité contributive des multinationales en fonction des pays où elles s’installent; le vote par le FMI d’une enveloppe de $650 milliards pour appuyer les réserves nationales et la création d’un fonds de résilience climatique et pandémique pour les pays les plus touchés et qui lancent des programmes de prévention ou de transition.
Les acteurs publics doivent aussi veiller à déployer des politiques qui assurent un bénéfice local des profits générés par le travail et l’accès à la formation et à l’acquisition de compétences en phase avec les besoins du territoire.
Réchauffement climatique, pandémie, conflit russo-ukrainien… Les événements viennent successivement défier le système économique mondial en place réduisant toute logique d’une relance à l’identique. Les États réalisent qu’une relance individuelle n’est guère possible tant les économies sont interdépendantes, les filières d’approvisionnement étant des points de vulnérabilité.
Si la coopération internationale devait être rejetée, l’économie mondiale, scindée en plusieurs blocs distincts, tant sur le plan monétaire que technologique, ferait disparaître les bénéfices de la mutualisation entre pays riches et pauvres.
La géoéconomie étant un volet de la géopolitique, la fragmentation redoutée ne peut être évitée sans une volonté politique des États à fournir les bons outils aux populations : éducation, soins, mobilité, technologie, esprit entrepreneurial.
Source : FMI, Maroc Hebdo Press, L’Economiste Bénin