La table ronde des négociations internationales sur le climat se tient le 23 septembre à New-York. Elle fait suite aux ambitions affirmées lors de l’accord de Paris en 2015, en invitant les présidents de tous les Etats et les ministères attachés à établir un plan d’action concret contre le réchauffement climatique. L’objectif est de maintenir d’ici 2100 la hausse de la température moyenne à la surface terrestre au-dessous de 2o C par rapport aux niveaux préindustriels et, conformément à la demande des petits États insulaires, de poursuivre les efforts afin de limiter cette hausse sous la barre de 1,5o C.
Cela étant, la politique d’atténuation de l’effet de serre ne va pas sans des coûteux et terribles sacrifices pour l’agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition, en particulier chez les producteurs ruraux en Afrique. Qui sont les champions d’émissions de carbone en Afrique ? Dans quelle mesure le changement climatique affecte-t-il les cultures, les pêcheries et les fermes d’élevage ? Quels défis l’Afrique devrait-elle affronter pour enrayer les impacts de l’effet de serre ?
L’empreinte carbone ne concerne pas les pays à faible revenu
L’Afrique n’arrive pas encore à déconnecter sa croissance économique de la croissance des émissions de carbone. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le critère d’empreinte écologique mis au point par l’ONG Global Footprint Network. Ce critère exprime en hectares les portions d’eau, de forêts, de prairies, de terrains agricoles et constructibles dont un pays a besoin pour soutenir le niveau de vie actuel de sa population. La figure 1 ci-dessous mesure l’empreinte écologique des pays africains en les classant en créditeurs et en débiteurs de l’écosystème.
À la lecture de la Figure 1, la réserve écologique est abondante dans les pays à très faible revenu : Mali, Madagascar, Mozambique, République centrafricaine, etc. Ils sont regroupés dans la catégorie verte. En revanche, les pays riches du continent accusent un net déficit écologique : le niveau de consommation des habitants y excède la biocapacité, ce qui peut mettre en péril la fertilité des sols et la reconstitution des cycles naturels. À droite de la figure, ils sont tracés en cercle rouge. Enfin, la catégorie orange est un ensemble disparate : les pays pauvres comme le Burundi y côtoient des économies plus avancées comme le Cameroun. Ils approchent d’un degré de plus ou moins de la limite de biocapacité.
Le constat est sans appel : l’empreinte carbone ne concerne pas les pays subsahariens dont l’économie est fondée essentiellement sur l’agriculture vivrière de subsistance. Les engrais, les pesticides et les machines motorisées sont encore un luxe réservé à des grands domaines. Même si, en moyenne, l’homme a doublé sa ration de viande et d’huiles végétales par rapport à 1951 (GIEC), et même s’il a multiplié par un tiers son apport calorique, il en va autrement des communes rurales africaines. La pauvreté, la sous-nutrition, la persistance des tribus de chasseurs-cueilleurs, la survivance de la tradition, alimentée par un agrotourisme triomphant, et le marasme de la production agricole ont tous contribué à cette neutralité carbone.
L’île Maurice et la Réunion sont l’exception à cette règle, ainsi que les pays arabes, dont la dette écologique est lourde à cause de l’intense activité pétrolière. Il faudra prévoir au moins l’équivalent de 1,4 planète pour vivre comme un Égyptien et presque 3 planètes pour vivre comme un Mauricien.
Toutefois, le réchauffement climatique affecte les systèmes agricoles de toutes régions du monde. Si les États africains n’y ont que modestement contribué, ils paieront plus que les autres les pots cassés.
Paradoxes africains
Près de 23 % des émissions totales de gaz à effet de serre d’origine anthropique sont associées à l’agriculture. Relativement peu nocif en matière de gaz carbonique, le secteur agricole, agro-pastoral et forestier rejette quantité de méthane (CH4) et d’oxyde nitreux (N2O) dans l’atmosphère. Au cours de la décennie 2007-2016, le GIEC fait état de 48,6 à 162 mégatonnes de CH4 émises par le secteur, ce qui équivaut à 1,4 ± 4,5 Gt CO2e y-1. L’estimation est de l’ordre de 2 à 8,3 mégatonnes pour le N2O, soit 2,2 ± 0,7 Gt CO2e y-1. La part du secteur dans les émissions mondiales de méthane et d’oxyde nitreux est respectivement de 44 % et de 82 %.
Cela dit, ces émissions moyennes cachent de profondes disparités. La culture attelée au Mali n’a rien de commun avec l’épandage d’azote par avion au Maroc, les systèmes d’irrigation sophistiqués en Égypte ou les plantations de maïs mécanisées aux États-Unis. Il est, cependant, malheureux de constater que l’Afrique tropicale est, avec les îles Caraïbes et l’Asie du Sud, le groupe le plus vulnérable au réchauffement climatique.
L’effet de serre frappe l’agriculture africaine sous trois angles :
- d’une part, les pays tropicaux étant déjà chauds, la plupart des cultures se situent dans leur limite supérieure de tolérance. Une hausse de température supplémentaire incommode la plante et la rend plus fragile, avec le risque d’accroître l’agressivité des parasites. On s’attend à une hausse de rendement du riz dans les hauts plateaux de Madagascar et d’Afrique, et certains produits comme le poivre vert, le café et autres épices pousseront avec plus de bonheur. Cependant, l’impact du réchauffement global de 1,5o C sur la production vivrière en Afrique, tel que dévoilé dans les exercices de modélisation, est globalement décevant (les bonus sont constatés plutôt en Europe, en Australie et dans les régions centrales de l’Amérique du Nord) ;
- d’autre part, des millions de petits exploitants familiaux vivent de l’agriculture sous pluie dans les régions subsahariennes. Dans un rapport de 2011, le GIEC a averti qu’ils pourraient s’attendre à voir le rendement des cultures pluviales chuter jusqu’à 50 % en raison du caprice des pluies causé par le dérèglement climatique. La formation herbeuse sur les terres de parcours s’en ressent également, avec à la clé un amaigrissement des troupeaux et une érosion du revenu des éleveurs et agro-pasteurs ;
- enfin, le déficit pluviométrique prolongé, accompagné d’averses brèves et violentes, accélère la désertification. À l’heure où ces lignes sont écrites, les régions arides et subarides accaparent plus d’espace en Namibie, au Ghana, en Éthiopie, en Afrique du Sud et au Bénin. Les graves sècheresses sont les risques naturels les plus inquiétants pour la production agricole, la disponibilité et l’accès aux aliments de base.
Ainsi, les petits fermiers du Sud seront-ils les plus gros perdants alors même qu’ils sont étrangers aux causes du réchauffement climatique. Le résultat serait un nombre accru d’enfants mal nourris, de femmes enceintes carencées en nutriments et d’exploitants acheteurs nets de vivres. La sècheresse aura pour effet d’augmenter la charge des femmes rurales qui consacrent plus d’heures qu’auparavant à la corvée d’eau et de collecte de bois.
Pour des systèmes agricoles intelligents capables de séquestrer le carbone
La table ronde sur le climat est une occasion de réaffirmer la primauté du zéro carbone. En vertu de la responsabilité commune mais différenciée, les États pollueurs doivent montrer l’exemple en jouant un rôle moteur dans la réduction des émissions de GES. Les mesures draconiennes, telles que la sanctuarisation des espaces naturels, la production de biocarburants ou la taxation carbone, sont à manipuler avec prudence dans les pays pauvres. Soulignons ici le reproche de J. Ziegler, qui voit l’affectation des terres agricoles à l’or vert comme un crime contre l’humanité.
Pour les pays du Sud, la lutte se situe plutôt sur le terrain de l’adaptation. Il s’agit de rechercher un bond de la productivité agricole d’une manière durable sans compromettre le milieu naturel. L’irrigation, la gestion améliorée des plantes, la suppression du labour, les systèmes agro-sylvicoles et le reboisement sont des techniques éprouvées pour contrer efficacement les impacts du changement climatique. La production des énergies vertes recyclables (éolienne, solaire et méthanisation) est notablement à encourager.
La mise en œuvre des mesures d’adaptation peut se heurter à plusieurs obstacles, incluant le manque de données à jour et fiables au niveau local, le manque de financement et de technologies, les valeurs sociales et les mentalités et les barrières institutionnelles. Les petits pays d’Afrique doivent plaider pour la mobilisation effective du financement pour le climat.
Le temps est venu de joindre la parole aux actes. En 1972, Limits to Growth fut le premier livre qui a mis en garde contre les impacts d’un développement industriel jusqu’au-boutiste dans un monde fini. Lors de sa parution, les Meadows étaient pris pour des Cassandre. Personne ne croyait à leurs scénarios. Or, aujourd’hui, les études du GIEC leur ont donné raison, avec des estimations plus fiables qu’un oracle de Delphes. Ce groupe d’experts a, en effet, établi que, sans des mesures urgentes pour freiner les émissions de gaz à effet de serre, la hausse de la température à la surface de la Terre atteindrait les 4o C.
Le réchauffement climatique est un défi à gérer par plusieurs parties prenantes, à commencer par les agriculteurs. Le rôle de l’Afrique est ainsi de lancer une offensive agricole garante de l’abondance et de la stabilité des approvisionnements céréaliers tout en veillant à créer des puits de carbone. La vision à défendre est celle d’une agriculture salvatrice, résiliente aux chocs climatiques, capable de nourrir dignement les habitants du monde et de protéger la Terre.