POUR UN MODÈLE AGRICOLE AFRICAIN CLIMATO-INTELLIGENT

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L’agrométéorologie – qui n’est pas une science nouvelle – étudie l’impact du climat sur l’agriculture et inversement l’influence de l’agriculture sur le climat. Cependant, elle a récemment pris de l’importance en raison des besoins alimentaires et du changement climatique. Le cœur de mes recherches est de comprendre le changement climatique afin de fournir des conseils pratiques aux agriculteurs et aux décideurs politiques en Afrique.

Ma recherche consiste principalement à exploiter les données climatiques pour soutenir des projets qui y sont sensibles. La météorologie et le climat influencent tous les aspects de notre environnement socio-économique, l’agriculture et les secteurs de l’eau étant parmi les plus concernés.

Les données sont au cœur des études climatiques. Leur utilisation est très complexe. Cela dépend des outils et modèles que nous utilisons pour les exploiter. L’Afrique a pris du retard dans la recherche climatique et ses applications principalement en raison de problèmes de données.

La valeur des données commence par l’analyse de leur disponibilité et de leur qualité. Très souvent, les ensembles de données sont soit indisponibles, soit dispersés sur des périodes trop courtes pour permettre une recherche significative. Pour le changement climatique, par exemple, nous avons besoin de données pour au moins trente années consécutives. C’est un défi pour de nombreux pays.

Cependant, grâce aux derniers développements, l’acquisition, le stockage et le traitement des données se sont améliorés. En matière d’acquisition, de nombreuses initiatives visent à étendre le réseau des stations météorologiques automatiques. De plus, des initiatives de numérisation des données archivées provenant de nombreux centres météorologiques à travers le monde, en particulier dans les pays en développement et en Afrique, sont en cours.

En ce qui concerne le stockage, le développement de l’IA et des superordinateurs a considérablement amélioré la quantité de données stockables et leur vitesse de traitement. C’est pourquoi l’UM6P est un centre névralgique de la recherche climatique en Afrique. Disposer du superordinateur le plus rapide du continent lui confère une position de premier plan dans l’avancement de cette recherche.

Comprendre l’impact du climat sur un secteur donné nécessite une analyse approfondie. Il est donc essentiel de disposer des bonnes données et des outils nécessaires pour comprendre cet impact. Dans la plupart des cas, par exemple en agriculture, nous utilisons des ensembles de données issus de simulations climatiques provenant de nombreux centres climatiques internationaux.

Diffusion des bonnes pratiques agricoles

À partir de ces données, nous ciblons notre domaine d’intérêt. Par exemple, nous pouvons nous concentrer sur le Maroc, l’Afrique ou au-delà. Cependant, la fiabilité des données est discutable dans certains domaines.

Dans la plupart des cas, nous corrigeons les biais des données afin qu’elles reproduisent les conditions observées. En ce qui concerne l’agriculture, et en particulier l’impact du changement climatique sur les cultures, plusieurs outils et modèles sont disponibles, selon les besoins. Au Maroc, par exemple, les modèles de cultures basés sur les procédés les plus courants sont AquaCrop, APSIM et WOSOFT.

Ces modèles sont largement utilisés, non seulement au Maroc, mais aussi en Afrique et dans le monde entier. L’UM6P joue un rôle décisif au Maroc et sur le continent africain. Conformément à sa vision 2030, l’Université a mis l’accent sur la recherche appliquée, l’innovation et l’entrepreneuriat, principalement pour relever les défis qui affectent non seulement le Maroc, mais aussi l’Afrique dans son ensemble. Les défis les plus courants sont la sécurité alimentaire, la santé et l’énergie. UM6P joue un rôle de premier plan dans ces domaines.

Grâce au partenariat avec OCP, nous menons de nombreuses initiatives au Maroc et à l’étranger pour améliorer la sécurité alimentaire en Afrique. En 2006, la Déclaration de Buja a fixé un objectif d’augmentation de l’utilisation d’engrais en Afrique, passant de 8 kg par hectare à 50 kg par hectare d’ici 2025. Aujourd’hui, dix ans après cette échéance, l’Afrique subsaharienne utilise encore seulement environ 20 kg d’engrais par hectare.

Cela montre qu’il reste encore beaucoup à faire. C’est pourquoi UM6P, via OCP, prend de nombreuses initiatives. En particulier, il existe des collaborations entre l’UM6P, des institutions marocaines et d’autres institutions africiennes pour faire progresser la recherche dans ces domaines.

Nous prenons d’autres initiatives, comme l’organisation d’ateliers. Par exemple, Bridge Africa réunit des dirigeants du monde entier, en particulier ceux des pays africains, à l’UM6P, afin de leur offrir une plateforme d’échange de connaissances et, surtout, de leur application dans leurs domaines respectifs. De plus, des organisations comme Moutimir collaborent étroitement avec les agriculteurs, renforçant la sécurité alimentaire au Maroc.

Actuellement limité au Maroc, le programme Al Moutmir devrait être étendu à l’Afrique. Ce sera une initiative majeure visant à fournir aux agriculteurs des services directs sur les meilleures pratiques agricoles, les engrais, l’irrigation et d’autres besoins. Toutes ces mesures contribueront à améliorer la productivité alimentaire.

Enfin, en ce qui concerne les ensembles de données, il est crucial non seulement de les acquérir, mais aussi de les stocker et de les traiter rapidement afin d’extraire des informations exploitables. L’UM6P est à la pointe de ce domaine en ayant acquis le superordinateur le plus puissant d’Afrique. Ce superordinateur peut stocker et traiter de grandes quantités de données, et produire des informations pouvant être appliquées aux pratiques agricoles pour améliorer la productivité agricole.

Les intérêts de recherche de Victor Ongoma

Victor Ongoma est météorologue. Ses recherches portent sur :

  • La Climatologie et le changement climatique
  • Les Services climatiques et le développement durable
  • Les Extrêmes climatiques (occurrence, impacts et adaptation) en Afrique, en particulier en Afrique de l’Est

Avancées de la recherche en Afrique pour l’Afrique et par l’Afrique

Le changement climatique est une réalité, et ses effets se font sentir dans presque tous les environnements socio-économiques. Ils varient d’un domaine à l’autre et tout autant d’une région à l’autre. Ils ne sont pas les mêmes en Afrique du Sud, de l’Ouest ou en Afrique du Nord.

Notre niveau de vulnérabilité au changement climatique varie. Cela dépend de nombreux facteurs. La résilience d’un pays ou d’une région dépend avant tout des ressources dont il dispose. Ensuite, il y a le savoir et l’expertise. Une bonne connaissance des effets permet une réaction efficace. Enfin, la sensibilité au changement climatique dépend de l’environnement socio-économique. Ainsi, la situation est pire pour la plupart des pays africains dont les systèmes agricoles dépendent de l’irrigation pluviale.

Les événements météorologiques extrêmes, tels que les inondations et les sécheresses, peuvent compromettre les récoltes et entraîner une insécurité alimentaire. C’est à ce niveau que l’action climatique entre en jeu : comment gérer ce risque ? Comment pouvons-nous nous adapter au changement climatique tout en atténuant ses effets ? Plusieurs pratiques ont été élaborées. Elles commencent à être proposées aux agriculteurs pour les aider à faire face.

Ces pratiques concernent le plus souvent l’irrigation, comme par exemple la transition de l’agriculture pluviale à une agriculture légèrement irriguée. Elles peuvent aider à surmonter des défis tels que des sécheresses récurrentes.

De plus, une formation spécialisée est mise en place car, très souvent, les décisions, en particulier celles des agriculteurs, sont prises sous l’effet d’informations insuffisantes. Aujourd’hui, des formations spécialisées existent, non seulement au Maroc mais dans toute l’Afrique, pour fournir aux agriculteurs des informations pertinentes et aider les décideurs à prendre les bonnes décisions.

La recherche est l’autre élément essentiel. Ces dernières années, par exemple, les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ont accordé peu de place à l’Afrique. Cependant, aujourd’hui, des experts des pays en développement sont sollicités pour rédiger des rapports. C’est encourageant pour l’Afrique. Les jeunes experts sont encouragés à mener des recherches pertinentes sur l’état du climat africain et à les publier dans des revues scientifiques de haut niveau.

Ceci illustre le concept d’Afrique pour l’Afrique par l’Afrique. Des mesures sont donc proposées pour fournir des informations fiables et précises pour la prise de décision. En résumé, ce concept repose sur trois piliers : le financement, l’expertise et les infrastructures.

Plus concrètement, les recherches les plus récentes montrent qu’au Maroc, et en Afrique en général, les principaux obstacles au développement agricole sont liés à des insuffisances en matière d’engrais, d’eau (notamment d’irrigation) et de pratiques agricoles. De plus, avec le changement climatique, les besoins évoluent et augmentent. Il est donc essentiel que les agriculteurs et les décideurs disposent des informations nécessaires pour les soutenir dans leur adaptation à ce changement.

Par exemple, nous participons à un projet visant à améliorer les rendements. À cette occasion, nous observons que le rendement obtenu par les agriculteurs est beaucoup plus faible que le rendement maximal qu’ils pourraient obtenir, il est grandement inférieur au potentiel de leurs terres. Sachant que les points faibles sont l’eau et la fertilisation, nous réalisons des essais sur le terrain pour déterminer la combinaison optimale engrais-irrigation au moment le plus favorable, soit le semis.

Toutes ces informations sont ensuite injectées dans une plateforme et une application mobile. Ces mesures permettent aux agriculteurs de repérer leur zone géographique, le rendement de leurs cultures céréalières, le potentiel de rendement, l’écart de rendement dans leur région et les mesures qu’ils peuvent mettre en place pour le réduire au maximum. En comblant l’écart de rendement, nous augmentons la production alimentaire et améliorons la sécurité alimentaire. En fait, des progrès considérables ont été réalisés dans l’agriculture au Maroc et en Afrique en général.

De nombreuses initiatives sont en cours. Au Maroc, par exemple, Al Moutmir est l’une des plus grandes organisations de ce genre. Ses membres se déplacent à travers le pays pour former les agriculteurs aux bonnes pratiques agricoles. Leur travail commence par la collecte de données, l’évaluation de l’état des fermes, des sols et des engrais utilisés. Ils analysent ensuite ces données, identifient les lacunes dans les pratiques agricoles et fournissent des conseils rapides aux agriculteurs. C’est un progrès considérable qui entraîne un accroissement de la productivité agricole. Il est renforcé par les avancées technologiques qui ont grandement simplifié le travail et la prise de décision des agriculteurs. Grâce aux applications mobiles, même les agriculteurs vivant loin du fournisseur de services qu’est Al Moutmir peuvent accéder à des informations importantes, telles que les prévisions de climat et de rendement ou le moment des précipitations.

Complexité de la modélisation climatique

Les applications mobiles surveillent la croissance, la germination et le développement des cultures ainsi que leur rendement. Grâce à elles, il est désormais très facile pour un agriculteur de savoir, par exemple, quand les pluies risquent de commencer à tomber afin de déterminer le bon moment pour semer et d’avoir connaissance des dates des précipitations saisonnières. Par exemple, lorsque les pluies sont normales, nous savons quelle culture privilégier.

Dans le cadre du projet sur lequel nous travaillons pour réduire l’écart de rendement, nous développons une application mobile qui inclut d’autres fonctionnalités. Cette dernière dispose d’une plateforme de commerce électronique sur laquelle les agriculteurs peuvent acheter du matériel agricole, voire recruter des ouvriers et vendre leurs produits. Cela leur facilite grandement la tâche.

De plus, la prévision des rendements joue également un rôle important. Les agriculteurs et décideurs peuvent ainsi connaître, au début de la saison, deux à trois mois à l’avance, le niveau de leurs rendements. Au fait de ces informations, ils peuvent prendre les décisions appropriées. Les décideurs pourront, par exemple, importer plus de nourriture pour nourrir la population. Ce sont des avancées réalisées non seulement au Maroc, mais dans toute l’Afrique. J’attribue tous ces progrès principalement aux avancées technologiques.

La modélisation climatique est l’une des plus complexes car elle implique des systèmes hautement dynamiques fortement influencés par les activités humaines. Heureusement, nous disposons de données provenant de nombreux centres climatiques internationaux. Dans toute analyse, il est nécessaire de sélectionner les simulations de modèles les plus fiables, car chaque modèle présente des forces et des faiblesses.

Par exemple, un modèle peut bien performer dans le nord de l’Afrique, mais obtenir de faibles résultats en Afrique de l’Ouest ou australe. Si la recherche porte sur l’Afrique du Nord, il faudra choisir le modèle le plus adapté afin de trouver celui qui représente fidèlement les conditions locales. Il peut, ensuite, être utilisé pour faire des projections et prendre des décisions connexes.

La sélection des modèles est basée sur leurs performances par rapport aux données observées. Cela souligne l’importance cruciale des données observées. C’est la base même de la recherche. Nous partons donc des données observées que nous utilisons pour valider la performance du modèle.

Grâce au modèle choisi, nous pouvons désormais simuler l’avenir. Une autre approche consiste à utiliser une moyenne, que nous appelons une moyenne d’ensemble.

Aujourd’hui, environ cinquante centres de modélisation climatique à travers le monde produisent des données à l’échelle planétaire. Une façon de minimiser l’incertitude est d’utiliser la moyenne de tous ces modèles. Cela fournit une image proche des observations, ce qui permet de faire des projections fiables.

Dilemme africain

L’agriculture est aujourd’hui un sujet crucial en raison de l’insécurité alimentaire liée à la croissance démographique sur le continent africain. Il est donc nécessaire d’augmenter la production alimentaire. Cependant, une intensification accrue de l’exploitation des terres, si elle n’est pas bien gérée, peut aggraver le changement climatique en augmentant les émissions de gaz à effet de serre. C’est là que le concept d’agriculture intelligente face au climat intervient.

Aujourd’hui, nous devons produire autant de nourriture que possible tout en limitant les émissions de gaz à effet de serre. Cet impératif influence le choix des cultures et les pratiques agricoles. Il permet non seulement de s’adapter au changement climatique, mais aussi d’en atténuer les effets.

C’est dans ce contexte que nous étudions et recommandons des cultures à cycle court. Nous privilégions aussi les cultures qui nécessitent moins d’eau, car cette ressource est précieuse. Nous favorisons également les cultures et les animaux qui émettent le moins de gaz à effet de serre. Nous devons donc parvenir à une situation gagnant-gagnant, une situation de co-bénéfices : réduire les émissions tout en s’adaptant.

L’Afrique fait face à un dilemme climatique et à une injustice. Elle subit les effets des émissions de gaz à effet de serre des pays développés alors qu’elle n’est qu’un émetteur marginal de ces gaz. Comment, dans ces conditions, demander à des Africains malnutris de réduire leur consommation de viande ?

L’Afrique est désormais à la croisée des chemins : elle doit augmenter sa production alimentaire, ce qui contribue aux émissions de gaz à effet de serre, tout en augmentant sa consommation d’énergie car de nombreux foyers africains n’ont pas accès à l’électricité. Cependant, toute augmentation de la production d’électricité – et de la nourriture – selon la source d’énergie utilisée, peut également accroître les émissions de gaz à effet de serre.

Le continent reste encore très en retard par rapport aux pays développés en termes de consommation et d’approvisionnement énergétiques. Réduire cet écart risque d’augmenter les émissions de gaz à effet de serre. Elles représentent moins de 5 % des émissions mondiales. Augmenter la consommation d’énergie est inévitable. Heureusement, le faible taux d’émissions de l’Afrique laisse une marge d’amélioration. Deuxièmement, nous disposons d’outils pour améliorer la durabilité de notre production agricole. Tout est une question d’équilibre.

Photo du Professeur Hamza Briak

Biographie du Chercheur Victor Ongoma

Victor Ongoma est chercheur, éducateur et auteur. Il est professeur assistant à l’Université polytechnique Mohammed VI. Vctor est titulaire d’un doctorat en météorologie de l’Université des Sciences et Technologies de l’Information de Nankin, en Chine. Ses domaines d’intérêt sont la climatologie et le changement climatique. Ses recherches actuelles portent sur la variabilité des événements climatiques extrêmes, leurs impacts et l’adaptation à leurs effets en Afrique de l’Est.

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