____ LE SOL, UN ÉCOSYSTÈME COMPLEXE ET VIVANT ___
Partie 2
CONSERVATION DES SOLS
Le sol est un monde complexe où les éléments biotiques interagissent entre eux et avec les éléments abiotiques du milieu terrestre. Il constitue un abri pour des milliards d’organismes, y compris des micro-organismes. Le réseau physico-chimique est concentré dans la rhizosphère et la détritusphère (litière végétale) qui recouvre la surface du sol. Le respect de l’équilibre de cet univers dynamique est un facteur déterminant de la fertilité des sols. La perturbation du sol par l’homme (labour, intrants chimiques…) ou par des facteurs naturels (stress thermique, sécheresse) dégrade, voire détruit, sa qualité. L’agriculture de conservation des sols (ACS), de plus en plus pratiquée par les agriculteurs, est une pratique non perturbatrice qui vise à protéger la santé des sols. L’ACS repose sur trois piliers : le semis direct, la diversification des cultures dans le temps et l’espace et la couverture maximale du sol par des résidus de culture. Les interventions humaines sont limitées au strict minimum, comme l’utilisation d’herbicides.
L’étude écologique des sols intègre les composants abiotiques, roches et minéraux, avec sa biologie, représentée par les plantes, les animaux et les micro-organismes. Elle considère le sol comme un habitat pour les animaux et les plantes qui y puisent les nutriments nécessaires à leur croissance.
Cette vision holistique nous aide à mieux comprendre que la santé des sols peut être fragile ; bien que possédant une certaine résilience, les sols peuvent être endommagés par les interventions humaines. Ces dernières doivent être prudentes et les moins perturbatrices possible.
Le sol est menacé d’érosion, en raison du vent et du ruissellement des eaux qui le privent d’une partie de sa structure et de sa richesse intrinsèque. Il nous incombe de le protéger contre ces forces érosives. Une question obsède les agriculteurs : comment protéger ma terre de la dégradation ? Ils savent que leurs pratiques doivent être les moins perturbatrices possible, qu’ils ne doivent pas retourner le sol ni le labourer en profondeur, car ces actions risquent de déséquilibrer ou de détruire son écosystème fragile. Plus l’empreinte humaine est légère, mieux le sol se portera.
L’agriculture de conservation des sols est une excellente réponse au grand défi de l’agriculture : comment nourrir correctement l’humanité sans dégrader les sols.
La pierre angulaire de l’agriculture de conservation des sols est la pratique du semis direct, un concept qui se répand dans le monde entier. On creuse un sillon très fin dans le sol pour y déposer les graines avant de les recouvrir, et on laisse les résidus de la culture précédente comme paillis protecteur. Ainsi, les sols sont labourés de moins en moins profondément, et la surface est recouverte pour éviter sa dégradation par l’érosion.
Agriculture de conservation des sols
De nombreuses pratiques agricoles sont classées dans la catégorie ASC. Par exemple, le labourage des champs en travers du terrain, le long des courbes de niveau, plutôt que dans le sens de la pente, afin de réduire l’érosion par ruissellement. Un autre exemple est la pratique consistant à planter des arbres sur les pentes et à l’extrémité des champs, à côté des fossés et des cours d’eau. Les arbres et autres végétaux agissent comme une zone tampon pour retenir l’eau, les sédiments et les nutriments contenus dans les eaux de ruissellement, afin qu’ils soient retenus sur le sol.
En fin de compte, le SCA atteint deux objectifs importants. Le premier est de stabiliser le sol, de le maintenir en place, tout en retenant les résidus et autres matières naturelles à la surface pour garder le sol chaud et humide, créant ainsi les conditions optimales pour la croissance des graines.
Le deuxième objectif, non négligeable pour les agriculteurs, de cette pratique non intrusive est de réduire les coûts de production, notamment en termes d’énergie et d’usure du matériel. En plus d’économiser de l’argent, l’agriculteur gagne du temps car le labour profond est chronophage.
L’agriculture de conservation des sols (ACS) n’est pas la même chose que l’agriculture biologique. La première s’intéresse principalement à la stabilisation du sol, à la préservation de sa structure en utilisant le matériel agricole approprié qui permet d’atteindre cet objectif. En revanche, l’agriculture biologique s’intéresse principalement à la croissance des plantes, à leur traitement et à la gestion de la fertilité du sol sans aucun agent chimique. Ainsi, plutôt que de recourir aux fongicides et autres pesticides, l’agriculture biologique va chercher à utiliser la biologie du sol pour bioprotéger les plantes contre les ravageurs. Les mauvaises herbes sont généralement contrôlées par un labour mécanique, et par des barrières de paillage (géotextiles ou matériaux naturels). L’agriculture biologique, enfin, n’utilise que des engrais organiques, du fumier animal, du compost et d’autres matériaux recyclés. L’ACS peut également utiliser ces pratiques, mais elle n’impose aucune interdiction de gérer les mauvaises herbes par désherbage chimique.
L’Inde, premier producteur mondial d’agriculture biologique
Il est peu connu que l’Inde soit le plus grand producteur mondial de produits agricoles biologiques. L’Inde a adopté l’utilisation généralisée de matières organiques recyclées dans l’agriculture. Presque tous les déchets organiques sont compostés ou compostés avec des vers de terre par lombricompostage avant d’être réintroduits dans le sol. Les agriculteurs utilisent des inoculums bactériens pour lutter contre les parasites et améliorer le recyclage des nutriments, ce qui améliore l’efficacité des engrais. L’Inde importe du phosphate, qui, sous forme de roche phosphatée non transformée chimiquement, est considéré comme un apport organique et peut être directement appliqué au sol.
La dégradation des sols
A terme, le changement climatique et les perturbations humaines conduisent à une dégradation globale et irrémédiable des sols. Ainsi, selon la FAO, la surface des terres arables par habitant diminuerait de 50 % dans les 50 prochaines années. La situation actuelle, selon la FAO, ne serait pas très encourageante : 33 % des sols seraient déjà dégradés tandis que 24 milliards de tonnes de terres fertiles seraient perdues chaque année. Je pense qu’il faut être prudent dans la lecture des chiffres. La prédiction de la FAO repose sur deux hypothèses relativement imprévisibles. La première suppose que la surface des terres arables disponibles est une donnée immuable. La seconde suppose une évaluation correcte de l’évolution démographique de la population mondiale, ce qui est quelque peu risqué. Les chiffres de la FAO sont certes alarmants mais ils ne sont qu’une extrapolation de l’augmentation passée de la population. Je ne sais pas quelle sera la population mondiale dans 50 ans.
Les prévisions reposent sur des modèles à grande échelle qui ne peuvent pas refléter la situation au niveau des exploitations. Elles incluent des indicateurs qui reflètent les scénarios les plus pessimistes et les cas les plus alarmistes. La valeur de ces prévisions réside dans le fait qu’elles constituent un signal d’alarme qui encourage les agriculteurs à mieux prendre soin de leurs terres.
Dans le même ordre d’idées, certains estiment que 50 % des terres du monde sont pauvres en nutriments. Ce chiffre me paraît excessif. Certes, certains sols peuvent être pauvres en nutriments en raison de leurs propriétés physiques et chimiques intrinsèques. Il est prouvé que la fertilité des sols peut être facilement améliorée par un apport supplémentaire d’engrais – qu’il s’agisse d’engrais commerciaux ou de matières organiques recyclées –, la fixation biologique de l’azote par les micro-organismes naturels du sol améliorant également la fertilité des sols. La pauvreté en nutriments est aussi souvent due à des défaillances humaines ou, plus précisément, à des dysfonctionnements dans la chaîne de valeur agricole. Le marché et/ou le système économique peuvent rendre l’accès aux engrais difficile dans certaines régions du monde. C’est le cas en Afrique où des défaillances logistiques obligent certains esprits ingénieux à envisager de livrer de petits sacs d’engrais aux agriculteurs par drone.
Deuxièmement, la FAO s’alarme aussi de la perte de biodiversité des sols . Le milliard de bactéries contenues dans un gramme de sol serait en déclin continu. Certes, d’un côté, l’érosion par le vent et la pluie emporte les bactéries. Mais d’un autre côté, je constate que les agriculteurs sont très attentifs à préserver la richesse de leurs sols. Ils compensent la disparition des nutriments par les cultures et les pertes de nutriments par l’érosion en ajoutant de la paille et des résidus à leurs terres. Les agriculteurs indiens et chinois le savent bien, car ils ont systématiquement recours à cette pratique qui favorise la multiplication des bactéries.
Troisièmement, beaucoup de gens s’inquiètent de la libération de carbone dans l’air par l’agriculture. Dans le profil global des sols, jusqu’à une profondeur d’un mètre, il y a trois fois plus de carbone que dans l’atmosphère terrestre. La dégradation des sols libérerait du carbone qui s’ajoute à la concentration de CO2 dans l’air. En fait, les chiffres que je connais sont plus optimistes. Les progrès des bonnes pratiques agricoles ont rendu les terres 20 % plus vertes qu’il y a 30 ou 40 ans, ce qui signifie que la quantité de végétation sur terre a augmenté, ce qui a entraîné une plus grande séquestration de carbone par les sols. C’est un phénomène très positif.
L’agriculture a fait de grands progrès. Les agriculteurs sont encouragés à planter davantage de cultures, à diversifier leurs cultures, à utiliser des cultures de couverture pour les parcelles non cultivées et à utiliser des engrais verts sur leurs terres cultivées. Les cultures de couverture stabilisent le sol et séquestrent le carbone.
Sécheresse et pollution chimique
La sécheresse est un problème particulier. Certains experts estiment que 24 % des terres arables pourraient se désertifier d’ici 2050. Comment lutter contre la sécheresse ? Là encore, il est difficile de prédire ce qui se passera dans 20 ou 30 ans. La technologie évolue rapidement et peut rendre les prévisions actuelles obsolètes. Il existe de bonnes raisons d’être optimiste. Aujourd’hui, il existe de meilleures techniques pour acheminer l’eau jusqu’aux exploitations agricoles. Des systèmes d’irrigation sophistiqués permettent d’arroser les plantes exactement là où elles en ont besoin. Des capteurs d’eau placés dans les champs, ainsi que des capteurs d’eau à distance utilisant des données satellitaires couplées à des algorithmes avancés d’apprentissage automatique, et de nombreux autres outils d’agriculture de précision sont à la disposition des agriculteurs.
La pollution , selon certaines sources, toucherait 20 % des terres arables de la planète. Les sources de pollution sont diverses. L’industrie, par exemple, produit des polluants qui se dispersent dans l’air et se déposent par le vent et les précipitations sur les terres agricoles. Certains intrants agricoles contribuent également à polluer les sols. Heureusement, nous disposons d’équipements de surveillance qui mesurent le degré de pollution des sols et de stratégies pour les dépolluer. Il existe également des plantes qui peuvent être utilisées pour décontaminer efficacement les sols.
En conclusion, malgré certains chiffres effrayants, je reste optimiste. Nous avons fait un gros travail d’éducation et de sensibilisation qui a sensibilisé les agriculteurs à l’importance de préserver l’équilibre et la richesse de leurs terres. Certains agriculteurs peuvent privilégier le profit à la santé des sols. Il s’agit d’un calcul à court terme. La grande majorité des agriculteurs savent que seule une bonne conservation de leurs sols assurera la pérennité financière de leur exploitation, aujourd’hui et pour les générations futures.